AIDE JURIDICTIONNELLE ET ASSURANCE PROTECTION JURIDIQUE : UNE VICTOIRE MAIS IL FAUT CONTINUER
29/10/2015
Peut-on faire l’économie des juges et d’un service ordonné de justice?
L'aide juridictionnelle fait l’objet, depuis des années, de nombreuses critiques du fait d’une part de sa difficulté d’accès pour le justiciable et d’autre part de la maigre rétribution qu’elle offre aux auxiliaires de justice.
L’assurance protection juridique est-elle la panacée ?
Cette aide consiste, pour les personnes ayant de faibles revenus, à bénéficier d'une prise en charge par l'État de la rétribution des auxiliaires de justice (avocat, huissier, experts, notaires,...).
L’aide prend également en compte des frais de justice (expertise, enquête sociale, médiation familiale...).
Critiques donc :
- Du point de vue du justiciable, le niveau de ressources pour en bénéficier serait trop bas, les démarches trop complexes, etc…
- Les avocats, de leur côté, jugent parfois la rétribution insuffisante.
Dans l'article Aide juridictionnelle et honoraires d'avocat : combien paye l'État ?, publié sur Legavox en 2009, on retrouve l'affirmation d'un montant de rétribution aujourd'hui fortement contesté par les avocats : « malgré la complexification des procédures et les frais élevés que cela entraîne, la valeur de l'UV (Unité de Valeur) n'a quasiment pas été modifié depuis sa création […] ce qui aboutit parfois à des montant de 400€ pour des procédures correctionnelles qui demandent plusieurs dizaines d'heures de travail à l'avocat, notamment pour les gardes à vue, les visites en détention, les très nombreux déplacements au Palais pour consulter le dossier, voir le juge d'instruction, sans compter tous les incidents de procédure ».
Nous poserons de prime abord l’idée que les plafonds pour bénéficier de l’aide juridictionnelle n’ont pas été abaissés et que l’Etat tente de faire peser la charge sur le secteur privé en particulier les assurances…
Pourtant, il faut garantir au justiciable une défense de qualité.
Un barème existe et a, au moins, le mérite de la précision. L'article 90 du décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique précise ce tarif pour chaque intervention de l’avocat au civil comme au pénal.
Après les âpres négociations successives, la problématique a été prise en considération.
Régulièrement les avocats se font entendre :
Le barème a été complété par une note du 15 avril 2015 présentant les dispositions du décret n°2015-271 du 11 Mars 2015 qui a modifié cet article 90
Ce document demanderait une analyse du type politique tant certaines prestations sont faiblement défrayées…
Comme si le gouvernement ne souhaitait pas encourager certaines défenses très mal défrayées, par exemple « Assistance d’une personne déférée devant le procureur général et présentée au premier président en exécution d’un mandat d’arrêt européen ou d’une demande d’extradition, la rémunération est de 5 unités de valeur pour 25, 90 euros l’UV, soit 129, 50 euros… !
Or, l'avocat individuel ne fait pas le même métier que l'avocat de compagnie d'assurance ou que l'avocat au sein d'un groupe. Il doit supporter les des charges qui parfois lui donnent « le blues » et supporter également la déjudiciarisation : pour aller devant la Cour d’Appel il doit supporter parfois des coûts de transport pour des distances pouvant aller jusqu’à 400 kilomètres.
Le gouvernement de M. SARKOZY et la précédente Garde des Sceaux ont supprimé des tribunaux, les avoués, engagé un processus de déjudiciarisation, transféré les charges de gestion sur les cabinets avec la mise en état électronique... En revanche, les charges diverses (URSSAF, TVA...) n'ont pas diminué.
On s’était demandé à une époque si le gouvernement allait prendre des mesures pour compenser les pertes infligées aux avocats individuels…
Les gouvernements semblent foncer les uns à la suite des autres sans prendre en compte la réalité pratique de la défense derrière ce barème.
Des exemples de l’inadaptation du tarif à la réalité du travail à effectuer : 77,70€ pour une première comparution devant un juge d'instruction (3 UV à 25,90€ à Dunkerque)…
4 UV pour une assistance devant le juge d’application des peines…
Il faut intégrer l'idée que la suppression des tribunaux et des avoués a pour conséquence les déplacements des avocats « de proximité » à la Cour.
L'État, encourage les compagnies d'assurance à assurer, une telle libéralisation d’un service jusque-là régalien est-elle de bon aloi ?
Les tarifs des compagnies d’assurances ne sont pas conçus comme le barème de l’AJ : souvent lapidaires, ils ne réservent que peu de place à l’avocat individuel.
Une nouvelle fois la protection des justiciables est prise en otage par la logique financière et les conseils pouvant être partiaux ou orientés qui sont parfois le fait des services d'orientation des assureurs ou des banques...
En effet les tarifs des assurances sont parfois singulièrement inférieurs à l'Aide Juridictionnelle.
Par exemple un appel rémunéré à hauteur de 580€ (pour un déplacement à Douai, alors que ce n'est absolument pas équivalent au coût que cela représente pour le cabinet en terme de charges, ni au temps nécessaire à la procédure, puisque cela représente une journée complète d'absence de l'avocat du cabinet).
Parfois également, la politique de la compagnie entre en conflit d'intérêt avec celle de son client, qui n'a pas le recul pour s'en apercevoir.
Un accord sur cette aide juridictionnelle a été conclu entre la Chancellerie et les représentants de la profession d’avocats. Il pose, conformément à l’objectif poursuivi par la Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, que le seuil de ressources permettant d’être éligible à l’AJ à 100% est relevé 1000 euros (permettant ainsi à 100 000 personnes supplémentaires d'en bénéficier) et pose également que la rémunération des avocats intervenant au titre de l’AJ, qui n’avait pas été réévaluée depuis 2007, soit immédiatement revalorisée.
L’unité de valeur (UV) augmentera en moyenne de 12,6%.
Il faut dire que ces négociations constituent une réelle avancée de notre point de vue.
Est-ce réellement suffisant?
Une analyse de praticien Pour le bâtonnier de Seine-Saint-Denis Me Stéphane CAMPANA, joint par Le Monde, cet accord est, certes, « mieux que rien », mais le soulagement ne sera que passager, car cette « petite » hausse de rémunération accordée aux avocats participant à l’aide juridictionnelle – alors même que le nombre de dossiers augmentera – ne suffira pas à résoudre le fond du problème.
L'accord intervenu pose encore plusieurs questions:
– il ne prend pas en compte le barème de l'AJ en matière de rémunération de l'avocat,
– il n'impose pas aux juridictions de compter les suppléments et majorations (expertises avec ou sans déplacement, vérifications personnelles du juge, enquêtes sociales, avocat en médiation...). Par exemple pour l’intérêt de ces suppléments, des déplacements sont pris en compte mais à hauteur de 9 UV pour une expertise avec déplacement, c'est-à-dire à Dunkerque, 233,10€ pour une telle expertise.
– il ne contraint pas les compagnies d'assurance à unifier leur prise en charge dans un tarif qui serait calqué sur celui de l’aide juridictionnelle avec une prise en compte au moins équivalente et à garder des tarifs transparents…
– il ne contraint pas ces mêmes compagnies à communiquer sur la liberté de choix de l'avocat car le mécanisme public permet aux citoyens de bénéficier d’un conseil indépendant…
On laissera une ouverture pour le débat et la réflexion :
Que devient la justice de proximité si l'on considère que des hommes et femmes sont morts pour avoir le droit d'être représentés en justice par un avocat ?