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LE FINANCEMENT DE CONTENTIEUX PAR LES TIERS Qui paie l’orchestre choisit-il la musique ? Par Jacques-Louis Colombani, Docteur en Droit - Avocat
23/06/2025

JL Colombani.jpgUne vieille histoire, un air nouveau

On pourrait croire qu’il s’agit d’un thème flambant neuf, importé de l’univers anglo-saxon du litigation funding. Mais on se souviendra des débats passionnés dans les amphis de droit civil des années 80 en France notamment. Nos professeurs nous mettaient en garde contre une sorte d’automatisation de la réparation par le fait de l’essor du droit des assurances… Cette genèse ressort parfaitement d’une analyse à la Revue La internationale de droit économique dans son numéro 2024/2

Un enjeu brûlant pour nos règles déontologiques

Mais ce qui nous frappe aujourd’hui, c’est l’irruption frontale de cette problématique dans la pratique quotidienne. On ne saurait trop saluer l’initiative du barreau de Paris, qui a constitué en 2024 un groupe de travail sur le sujet, pour en anticiper les dérives[2].

Car le danger est là, bien réel : en devenant le "préposé d’un tiers payeur", l’avocat court le risque de perdre son âme. Pour paraphraser une maxime célèbre : « on ne sert pas deux maîtres ». Et entre son client et le payeur du procès, le cœur (et la déontologie) devraient toujours pencher du côté du premier.

 La promesse d’une justice « plus accessible »…

Le discours officiel est séduisant : le financement par des tiers permettrait de garantir l’accès à la justice, de démocratiser les grands procès, de lutter contre les déséquilibres économiques entre parties. Voilà pour la vitrine.

En pratique, la réalité est plus nuancée. Les travaux menés au sein de l’Union européenne en témoignent : la résolution TA-9-2022-0308 du Parlement européen[3] souligne que ces financements doivent être strictement encadrés. Pourquoi ? Parce qu’il existe un risque majeur de détournement de procédure au bénéfice du financeur.

C’est encore ce que rappelle une analyse récente[4]: « C’est une initiative qui interroge sur le maintien de l’indépendance de la défense ». On ne saurait mieux dire !

Quand l’assurance joue contre son assuré…

Le juriste qui arpente les prétoires connaît bien ces scénarii ubuesques : un assuré pense être "couvert" par son contrat de protection juridique. Mais bien vite, il découvre que couvert signifie parfois... couvert de déboires

En effet, nombre de conventions croisées entre assureurs conduisent à des situations kafkaïennes. L’expert désigné par "sa" compagnie d’assurance remettra un rapport qui ne vise qu’un objectif : limiter l’indemnisation. À charge ? À minima ? Peu importe, l’important dans la logique des protections juridiques est de protéger les deniers du payeur, lequel continue à encaisser les cotisations avec un large sourire. Les systèmes dit « mutualistes » ne sont pas épargnés, les banques-assurances et leurs services de conseil juridiques « à 1 €uro » ont tendance à écrire des « consultations » que les justiciables prennent pour « argent comptant » !

Dans cette comédie aux airs de tragédie, l’assuré peut se retrouve floué s’il ne consulte pas « Son avocat » ou « Son médecin de recours », ou encore « Son sapiteur indépendant »… — et l’avocat, désigné d’office dans ces conditions, réduit à un rôle qui n’est pas forcément le sien.

Le financement des procès par l’aide juridictionnelle peut également poser des difficultés similaires dans l’hypothèse où certains Etats seraient tentés d’infléchir des politiques judiciaires par un « saupoudrage » des crédits…

La question est ancienne[5], et revient de façon récurrente en doctrine[6], avec le risque de fonctionnarisation de certains avocats.

Le président Macron dans son projet prévoyait également la suppression des ordres professionnels qui selon lui freinent l’efficacité de l’action et de redonner une efficacité des politiques publiques notamment tournées vers les classes populaires qui selon son analyse n’existent pas[7].

Une posture collective nécessaire : défendre le libre choix de l’avocat

Face à ces dangers, la profession doit affirmer un principe intangible : le libre choix de l’avocat par le justiciable.

Le Conseil national des barreaux, par la voix de Laurent Pettiti, président de la DBF, a parfaitement résumé l’enjeu dans son intervention sur ce thème[8]: il faut impérativement veiller à ce que les services de protection juridique n’endossent pas le rôle de dominus litis de fait. Leur fonction est de garantir l’accès au droit, non de piloter la stratégie contentieuse ou d’imposer un avocat choisi pour des raisons économiques.

L’UE s’apprête à adopter une régulation harmonisée en la matière. Tant mieux. Mais le combat ne fait que commencer.

Assurons-nous que, dans ce bal de la justice moderne, l’avocat garde sa partition, son indépendance et donc son âme !

 

 

 

 NOTES ET REFERENCES:

[3] Résolution du Parlement européen TA-9-2022-0308 : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0308_FR.html

[4] Dalloz Actualité, « Vers une réglementation du financement de contentieux par des tiers dans l’Union européenne » : https://www.dalloz-actualite.fr/flash/vers-une-reglementation-du-financement-de-contentieux-par-tiers-dans-l-union-europeenne;

 [5] https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1972_num_14_2_1735

[6] https://actu.dalloz-etudiant.fr/fileadmin/actualites/pdfs/OCTOBRE_2014/D2001-6.pdf

[7] Site eyrolles.com, page "Révolution C'est notre combat pour la France" [archive], consulté le 7 janvier 2020.

 



23/06/2025
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