VISIO AUDIENCE: EGALITÉ OU DISPARITÉ EN DROIT FRANÇAIS?
02/12/2021
I Jurisprudence constitutionnelle en Droit pénal
Decision 2019-802 QPC - 20 septembre 2019 - M. Abdelnour B. [Utilisation de la visioconférence sans accord du détenu dans le cadre d'audiences relatives au contentieux de la détention provisoire] - Non conformité totale
« . D'autre part, en vertu de l'article 706-71 du code de procédure pénale, en cas de recours à un tel moyen, l'avocat de la personne placée en détention provisoire, comme l'interprète, choisit de se trouver auprès de la juridiction ou auprès de l'intéressé. Dans le premier cas, l'avocat doit pouvoir s'entretenir avec ce dernier, de façon confidentielle, en utilisant le même procédé audiovisuel. Dans le second cas, une copie de l'intégralité du dossier est mise à sa disposition dans les locaux de détention sauf si une copie lui en a déjà été remise. Par ailleurs, la communication doit se tenir dans des conditions qui garantissent le droit de la personne à présenter elle-même ses observations. »
…Article 1er. - Les mots « la chambre de l'instruction » figurant à la première phrase du troisième alinéa de l'article 706-71 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2016-1636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d'enquête européenne en matière pénale, sont contraires à la Constitution. Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 16 et 17 de cette décision.
Tout le droit pénal est donc « éclairé » par un principe de nature supra constitutionnelle pour interdire l’usage généralisé de la visio conférence.
Ce principe est très fort et défendu par le Conseil d’Etat, y compris en référé : En effet, lans le cadre de l’état d’urgence sanitaire déclaré pour faire face à la nouvelle progression de l’épidémie de covid-19, une ordonnance du 18 novembre 2020 du Gouvernement a adapté plusieurs règles de procédure pénale afin, selon son article 1er, « de permettre la continuité de l’activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l’ordre public ». Plusieurs associations, des ordres d’avocats et un syndicat de magistrats ont demandé au juge des référés du Conseil d’État de suspendre en urgence certaines dispositions de cette ordonnance, en particulier l’extension des possibilités de recours à la visio-conférence (article 2) et la restriction de l’accès du public aux audiences (article 4). Le 27 novembre dernier, le juge des référés a suspendu la possibilité, résultant de cette ordonnance, de recourir à la visio-conférence après la fin de l’instruction à l’audience devant les juridictions criminelles, c’est-à-dire pendant le réquisitoire de l’avocat général et les plaidoiries des avocats.
La portée de cette inconstitutionnalité liée à la protection du droit au procès équitable rayonne de notre point de vue à l’ensemble du droit pénal du point de vue du Conseil Constitutionnel.
Cela n’empêche pas un très large usage de la viso conférence dans les audiences correctionnelles ou juges uniques et des pratiques qui consistent à purement et simplement « couper le micro » au mis en cause qui n’obtempèrerait pas aux injonctions…
L’inconstitutionnalité de la viso audience est appréciée différemment par le Conseil Constitutionnel en ce qui concerne les étrangers, la pratique essentiellement syndicale et la Cour Nationale du Droit d’Asile ont trouvé un accord qui devra se mettre en place.
II - Visio audience et demande d’asile.
La possibilité de recourir à la vidéo-audience a été mise en place par la Loi Asile et immigration promulguée le 10 septembre 2018. Une mesure qui a été validée par le Conseil Constitutionnel.
Comme en matière de droit pénal, la crise sanitaire a en effet autorisé une accélération au gouvernement.
La justice administrative donnant suite à la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a permis au Premier ministre de prendre par ordonnance, des mesures permettant la lutte contre la propagation de l’épidémie du covid-19. L’article 11 I 2° de la loi du 23 mars 2020, lui, autorisait le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, les adaptations de la procédure administrative contentieuse dans ce contexte inédit par l’installation d’audience tenue en visioconférence mais aussi, le réajustement des délais de recours et de jugement (ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif).
Le juge de la constitutionalité a pris une position juridiquement basée sur un principe à valeur infra constitutionnelle pour autoriser l’usage de la visio-conférence, c’est donc le principe de « bonne gestion » qui éclairera « avec l’accord du requérant » la mise en place de la visio conférence à la Copur Nationale du droit d’Asile.
Cons. const, décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018,), consid. n° 13 : « En second lieu, d’une part, le fait que la Cour nationale du droit d’asile statue à juge unique ne porte pas, par lui-même, atteinte aux droits de la défense. D’autre part, conformément à l’article L. 731-2 ( de sa propre initiative ou à la demande du requérant, le juge peut, à tout moment de la procédure, renvoyer à la formation collégiale la demande s’il estime que celle-ci ne relève pas de l’un des cas d’examen en procédure accélérée ou qu’elle soulève une difficulté sérieuse ».
Une QPC avait été posée devant la Cour Nationale du Droit d’asile durant les manifestations contre l’usage de la Visio qui avaient globalement été suivi par l’ensemble des avocats praticiens et lancées par les organisations syndicales.
Il s’agissait de savoir s’il existait en France deux sortes de sujets de droit : ceux qui seraient régies par des principes supra constitutionnels et les autres par des principes plus subsidiaires issus du droit européen des étrangers notamment ?
Le Conseil d’Etat a pris une position très audacieuse dans la décision du 8 juin 2020 relative au juge unique et à la visio conférence :
Le Conseil d’Etat pose : « En second lieu, il ressort des éléments indiqués au juge des référés qu’il est prévu de tenir des audiences à la Cour nationale du droit d’asile sur le fondement des dispositions contestées à compter du 15 juin 2020. Compte tenu des effets de ces dispositions sur les conditions d’examen des recours portés devant la Cour et de l’importance de la garantie que présente, pour les demandeurs d’asile, la collégialité des formations de jugement en principe instituées par le législateur, la condition d’urgence requise par les dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie, sans que s’y oppose en l’espèce l’intérêt public qui peut s’attacher à la continuité du fonctionnement du service public de la justice. »
La pratique a donc totalement reçu avec l’accord des syndicats et des organisations représentatives des avocats et des représentant de certains ordres, l’usage de la visio audience à la Cour Nationale du Droit d’Asile.
La CNDA indique sur son site :
« Jusque-là autorisées pour les seules audiences des demandeurs d’asile séjournant dans les outre-mer, les vidéo-audiences le sont désormais aussi pour des demandeurs séjournant en France métropolitaine. Par sa décision n°2018-770 DC du 6 septembre 2018, le Conseil Constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution. »
La mise en pratique de cette mesure sera suivie avec intérêt.
http://www.cnda.fr/content/download/176710/1742484/version/2/file/Vademecum%20et%20annexes.pdf
Il reste une opinion qui milite pour l’égalité des sujets de droit devant l’application du droit français et qui ne fait aucune concession sur l’universalité des principes qui s’imposent également aux Traités internationaux et européens...
Pragmatisme contre idéal… ?
La suite le dira.